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Fortifications et patrimoine

Du béton, des vieilles pierres et de la 3D

L'ouvrage de l'Immerhof (A10)

L'Immerhof est un petit ouvrage de la ligne Maginot situé sur le ban de la commune d'Hettange-Grande, en Moselle.
La genèse de ce nouveau système de fortifications démarre au lendemain du traité de Versailles (1919). Les hommes politiques et généraux français décident alors de construire une nouvelle ligne de fortification ayant plusieurs missions :

  • Protéger le pays d’une invasion surprise ;
  • Permettre à l’armée de mobiliser ses forces de manière optimale ;
  • Protéger le bassin industriel d’Alsace et de Lorraine.

Les travaux de constructions débutent en 1929 et sont achevés vers 1935, mais les fortifications n'offrent pas une défense homogène des frontières qui sera peu à peu complétée par des casemates et autres blockhaus de qualité variable jusqu’en 1940.

L'ouvrage vu du ciel le 4 avril 1955 (© IGN 1955).

Concernant l'Immerhof, les travaux se déroulent de mars 1930 à 1935. De l'avant-projet du 31 octobre 1929 qui projette un ouvrage à 6 blocs, la C.O.R.F. décide de réduire l'ouvrage à trois blocs cuirassés avec une unique entrée. L'ouvrage de l'Immerhof est donc un petit ouvrage d'infanterie comprenant :

  • Une entrée mixte ;
  • Bloc 1 : une tourelle de mitrailleuses, deux cloches GFM ;
  • Bloc 2 : une tourelle de mitrailleuses, deux cloches GFM ;
  • Bloc 3 : une tourelle pour mortier de 81.

En raison de la nature du terrain, la réalisation de galeries profondément enterrées n'est pas possible, comme on le verra dans les autres ouvrages. La C.O.R.F. envisage ainsi de réaliser un ouvrage de plain-pied dans la butte située à côté de la Ferme Immerhof, qui donnera son nom à l'ouvrage. De ce fait, la construction s'est effectuée à ciel ouvert, cas presque unique dans la ligne Maginot, partagé avec l'ouvrage des Sarts, près de Maubeuge (Nord). 

La mission de l'ouvrage est de protéger une zone propice aux infiltrations ennemies par de nombreux vallons et forêts. Aussi, la route reliant Hettange-Grande au Luxembourg ainsi que la voie ferrée Thionville-Luxembourg passe à proximité.

L'ouvrage est couvert par l'artillerie des ouvrages de Molvange et de Soetrich, respectivement situés à l'ouest et à l'est. Son feu d'infanterie rayonnant à 360° grâce à son armement placé sous tourelles lui permet d'intervenir sur l'intervalle vers les casemates du bois de Kanfen ou l'ouvrage de Soetrich. Nous nous trouvons ainsi au cœur du Secteur Fortifié de Thionville, le plus puissant du système fortifié.

L'ouvrage de l'Immerhof est occupé par un total (théorique) de 198 hommes issus du 168e Régiment d'Infanterie de Forteresse, du 151e Régiment d'Artillerie de Position et du 2e Génie. 

De la déclaration de guerre au 10 mai 1940, la vie à l'ouvrage de l'Immerhof n'est guère différente des autres ouvrages de la ligne Maginot. Cette période voit la construction de blockhaus de complément par la main d'œuvre militaire, creusement de fossés et de tranchées, renforcement des réseaux de barbelés, etc. Au niveau de l'ouvrage, c'est une liaison électrique enterrée qui est posée, ainsi qu'une conduite d'eau entre l'Immerhof, l'abri et les casemates de Kanfen.

Au début de l'offensive allemande, l'Immerhof n'est pas inquiété et ne subira aucune attaque d'envergure. Cependant, il déplore un tué, le caporal André Rabu, victime d'un bombardement lors d'une patrouille le 14 juin. Le 16 juin 1940, la tourelle de 81 est victime d'un incident de tir ; le canonnier Pierre Bochand est grièvement blessé par l'éclatement prématuré de l'obus de mortier.

Ce n'est que le 2 juillet 1940 que les équipages de l'Immerhof et du Soetrich quittent leurs ouvrages respectifs pour le chemin de la captivité… Entretenu par l'Armée jusqu'à la fin des années 1960, l'ouvrage est acquis par la commune d'Hettange-Grande en 1976 et restauré par l'association "Le Tiburce" depuis 1996, qui assure régulièrement des visites.
 

L'entrée

Accès principal de l'ouvrage, l'entrée sert aussi bien pour le personnel que pour les munitions ; il s'agit donc d'une entrée mixte. Son armement est uniquement défensif et couvre l'accès à l'ouvrage : un créneau pour jumelage de mitrailleuses interchangeable avec un canon antichar ainsi que deux créneaux pour fusil-mitrailleur. Sur les superstructures, deux cloches GFM complètent la défense des abords.

Esplanade devant l'entrée.
Canon de 47 en batterie ; à gauche, un créneau pour fusil-mitrailleur.

A l'intérieur, outre les équipements défensifs, le bloc d'entrée dispose d'un local pour la radio, dont l'antenne est placée sur la façade extérieure, ainsi que des magasins à munitions.

Entrée du local radio.

A la différence des autres ouvrages, la galerie de l'Immerhof est entièrement construite en béton armé, donnant sa forme très particulière.

La galerie principale qui se caractérise par une absence de voûte.
Le casernement

Face au bloc 3, le casernement regroupe les locaux de vie de l'ouvrage. Son organisation est prévue pour tenir en autarcie pour plusieurs mois, plus ou moins éloignée des blocs de combats (!). Du fait des spécificités de construction de l'ouvrage, le casernement est construit sur deux niveaux, cas unique dans la ligne Maginot. 

  • L'usine électrique

La partie la plus importante est celle de l'usine électrique où deux moteurs diesel Renault assurent l'alimentation de l'ouvrage. Un seul suffit pour les besoins de l'ouvrage, le second étant laissé en réserve. Dans les années 1950, l'usine électrique est remaniée et les moteurs originaux remplacés par deux groupes SCGM.

Immerhof
Les deux groupes convertisseurs ; en arrière-plan, un groupe électrogène SCGM.
Le second groupe électrogène SCGM.

Deux convertisseurs fournissent le courant continu pour le fonctionnement des tourelles, et un petit CLM de secours assure l'alimentation minimale.

Dans les pièces avoisinant l'usine, se trouvent différents réservoirs d'eau de refroidissement, d'huile et de gasoil ainsi qu'un atelier.

Atelier.
  • La cuisine

Jouxtant l'atelier, la cuisine avec sa réserve à vivres alimente l'équipage. Ici aussi l'équipement d'origine a été remplacé durant les années 1950, où une cuisinière électrique remplace un modèle à vapeur.

La cuisine de l'ouvrage.
  • L'infirmerie

L'ouvrage dispose d'une infirmerie permettant d'effectuer des premiers soins. Quant aux blessés graves, ils devaient être évacués vers l'arrière.

L'infirmerie de l'ouvrage.

On y trouve la seule et unique douche de l'ouvrage, destinée à la toilette des blessés et aux gazés provenant de l'extérieur.

L'unique douche de l'ouvrage.
  • Les chambrées

L'étage supérieur de l'ouvrage comporte des espaces de logement pour l'équipage : la chambre du commandant, les chambres pour la troupe, les sous-officiers et les officiers.

Chambre du capitaine Pierre Réquiston, commandant de l'ouvrage.

A proximité se trouve le centre névralgique de l'ouvrage : le poste de commandement.

Poste de commandement de l'ouvrage.

Si une partie des chambrées est restaurée comme à l'origine, une chambrée sert d'espace d'exposition de matériel de la période 1940.

Chambrée rééquipée.

Également située à l'étage supérieur, la salle de neutralisation comprenant les filtres et les ventilateurs n'est pas accessible depuis les chambrées, mais par une échelle depuis l'usine électrique.

Curieusement, le blockhaus de défense intérieure situé à la jonction de la galerie vers les blocs 1 et 2 est occupé par le bureau du vaguemestre et le mess des officiers.

Le créneau tire sur la galerie vers l'entrée (!).
Mess des officiers.

Un blockhaus de défense intérieur voisin accueille quant à lui le central téléphonique avec ses boîtiers répartiteurs. 

Central téléphonique et boîtiers répartiteurs.

Le troisième enfin, est destiné au local du vaguemestre.

Local du vaguemestre.
Le bloc 1 : tourelle de mitrailleuses

Situés sur la partie avant de l'ouvrage, les blocs 1 et 2 sont parfaitement identiques et symétriques. Leur rôle est d'assurer un feu frontal en cas de menace sur l'ouvrage et flanquer les intervalles entre les casemates de Kanfen et l'ouvrage de Soetrich.
Les tourelles sont placées au-dessus du niveau naturel du terrain afin de remplir pleinement leur mission. À cela s'ajoutent deux cloches GFM pour chaque bloc.

L'étage inférieur du bloc 1.

La tourelle de mitrailleuse est le modèle de tourelle le plus léger du système fortifié avec son poids de 120 tonnes, dont 83 de masse mobile. Le bloc comporte trois niveaux superposés, dont l'organisation est identique aux autres tourelles de la ligne Maginot.
L'étage inférieur abrite le balancier de mise en batterie ou en éclipse de la tourelle. Un contrepoids de 10,7 tonnes assure cette manœuvre réalisable par un enfant par un jeu de manivelles ou bien via une commande électrique.

Étage inférieur de la tourelle de mitrailleuse.
Le balancier.

De cet espace, on accède à l'étage intermédiaire par un escalier raide. C’est ici que s’effectue la rotation de la tourelle et son approvisionnement. Des norias permettent l'approvisionnement en munitions des mitrailleuses situées à l'étage supérieur.

Enfin, une échelle accrochée au fût pivot permet d'accéder à la chambre de tir. Il s'agit d'un espace étroit protégé par une muraille de 30 cm d'épaisseur. La tourelle pour mitrailleuses est dotée d'un jumelage similaire à celles des chambres de tir, à la différence du moyen de mise à feu, commandée par un câble et non par une détente. Le refroidissement des armes est assuré grâce à un pulvérisateur Vermorel fixé sur le fut en partie basse de la tourelle.

La tourelle était en cours de restauration lors de notre visite (novembre 2021).
Espace de repos près de la tourelle.
Le bloc 3 : tourelle de 81

Ce bloc est l'une des particularités de cet ouvrage car c'est l'un des seuls petits ouvrages à avoir reçu une tourelle pour mortiers de 81. Par ses armes à tir courbe, elle peut battre les endroits défilés et à l'abri des armes à tir tendu sur 360°.

Sas de portes étanches vers le bloc 3.

Tout comme la tourelle de mitrailleuse, l'ensemble se répartit sur trois niveaux. Le niveau inférieur comporte le balancier et son contrepoids permettant la mise en éclipse ou en batterie de la tourelle ; on y trouve également une chambrée, un poste de commandement, un magasin à munitions.

Poste de commandement du bloc.
Balancier de la tourelle de 81.

Au niveau intermédiaire, le poste de pointage permet de régler les coordonnées transmises par le poste de commandement. C'est ici que l'ensemble des commandes de l'engin sont manœuvrables : pointage en direction, en distance, commande (électrique) de mise en batterie ou d'éclipse. Un transmetteur d'ordre relié à la chambre de tir permet aux artilleurs d'effectuer le tir car ils sont complètement aveugles.

L'étage intermédiaire de la tourelle de 81.
L'étage intermédiaire de la tourelle de 81.

Le mortier de 81 mm modèle 1932 dispose d'une portée de 3 600 mètres pour une cadence de 13 coups par minute. Ces engins à tir courbe positionnés sous un angle de 45° peuvent ainsi cracher leurs obus à ailette en toute sécurité car la tourelle est installée dans une cuvette.

Partie émergente de la tourelle de 81 (Musée de l'ouvrage de Fermont).

Les mortiers sont placés par paires et occupent toute la place de fait très réduite pour le personnel.

Deux mortiers de 81 placés sous tourelle (Musée de l'ouvrage de Fermont).


Enfin, le bloc comporte également d'une partie dédiée à l'infanterie : chambres de tir pour fusil-mitrailleur et pour canon de 47 ; aussi le bloc dispose d'une issue de secours invisible depuis l'entrée, ce qui n'est pas sans poser de problèmes pour la défense.

 

Bibliographie
Association Le Tiburce, L'ouvrage Immerhof, Hettange-Grande, Association Le Tiburce, [s.d.].
Jean-Yves MARY, Alain HOHNADEL, Hommes et ouvrages de la ligne Maginot Tome 3, Paris, Histoire & collections, 2003.
Philippe TRUTTMANN, La Muraille de France, Thionville, Gérard Klopp, 2009.
 
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