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Fortifications et patrimoine

Le blog de l'Ami du Patrimoine

La casemate de l'Aschenbach en 1940 - uchronie

En 1934, le sujet d'une potentielle attaque allemande en passant par la Suisse revient au sein de l'État-major français. Cette portion de la frontière n'est pas défendue en raison des traités de Paris (1815) qui interdisent la construction de fortification dans un rayon de trois lieues autour de Bâle. La ligne Maginot du Nord-Est s'arrêtant à Hombourg, au nord de Kembs soit à plus de 20 km de distance de Bâle respecte donc le traité. Cependant, le gouverneur de Strasbourg, le général Boichut, demande de protéger cette partie des frontières auparavant rejetée en 2e cycle.

Ainsi, il a été prévu un ambitieux programme comprenant la réalisation de quatre ouvrages d'artillerie (Stetten, Ranspach-le-Haut, Trois-Maisons et le massif du Glaserberg), six ouvrages d'infanteries (Uffheim, Stetten, Helfrantzkirch, Ranspach-le-Haut, Bettlach et Oltingue) et 68 casemates (!)

Ces beaux projets vont être tous ajournés faute de crédits. A la place on édifiera à Sierentz, Bettlach, Oltingue et Raedersdorff sept casemates d'artillerie pour deux canons de 75 modèles 1897/1933 complétées par une ligne de 32 casemates équipées de mitrailleuses Hotchkiss et de canons de 47 mm (voir des canons de antichars de campagne) placés sur un arc de cercle à une douzaine de kilomètres de Bâle. Les premières constructions émergent en 1935 mais l'essentiel ne sera réalisé qu'à partir de 1937 en fonction de l'attribution des crédits.

C'est dans ce contexte qu'est construit au milieu d'un champ au sud du village d'Uffheim la casemate de l'Aschenbach codée n° 86 en 1939. Cette construction tardive fait qu'elle est une des rares casemates de la 7e Région Militaire à suivre le plan type modèle 1939 du 29 Décembre 1938.

Elle est aujourd'hui restaurée par l'équipe du Mémorial Maginot de Haute-Alsace qui l'ouvre au public régulièrement au cours de la belle saison. Toutefois, les restaurations appliquées ne sont pas forcément en corrélation avec l'état d'origine. Ainsi, la restitution 3d présentée dans cet article va essayer de montrer à quoi aurait pu ressembler la casemate de l'Aschenbach en 1940. S'agissant d'une uchronie, il y a néanmoins quelques biais et approximations étant donné que la casemate est restée inachevée d'après des études précises du bâti. Ces biais seront annoncés aux endroits concernés de la casemate. 

Vue aérienne de la casemate.
Casemate de l'Aschenbach
La casemate côté sud-est.
La casemate côté nord-est.

Avant d'entrer dans les détails, commençons par décrire la construction d'une manière générale. Il s'agit d'une construction imposante composée d'un armement antichar et anti-personnel en flanquement vers la casemate du Haselberg (nord-est) et la casemate de Vernes (sud-ouest). L'observation se fait via une cloche GFM percée de cinq créneaux. Enfin, les angles morts de la casemate sont défendus par des créneaux pour fusil-mitrailleur et des goulottes lance-grenades.

Casemate de l'Aschenbach
Les entrées

On y trouve deux entrées, une pour le matériel en principe obturée par des rails après l'installation du matériel lourd, et une entrée pour le personnel. Cette dernière est obturée dans un premier temps par une grille, puis dans la coudée du couloir, par une porte blindée. Ces deux éléments n'étaient pas installés en 1940, seulement une porte en tôle fermait la casemate.

Les entrées (personnel et matériel) de la casemate.
La grille et la porte blindée n'étaient pas installées en 1940, le béton du sol n'était même pas coulé. La fermeture de l'entrée se faisait via une simple porte en tôle.
Le couloir d'entrée avec à gauche, l'accès aux latrines.
Les latrines

Juste après avoir traversé la porte blindée, à gauche, une porte en tôle donne sur les latrines. Cette pièce est percée par un créneau pour fusil-mitrailleur. Ces latrines ne sont utilisées qu'en cas d'encerclement ou de combat dans le secteur. Elle se présente sous la forme d'une cuvette de WC à la turque plus pratique au niveau hygiène que les cuvettes classiques et sous laquelle est installée une fosse chimique. Cette dernière est constituée d'une citerne reliée à la cuvette. On accède à ce local par des échelons. L'ouverture située dans le couloir d'entrée, est obturée par des blocs de béton amovibles.

L'exiguë pièce des latrines, percée par un créneau pour fusil-mitrailleur.
La chambre de tir nord pour mitrailleuse

Après avoir traversé le sas, nous arrivons dans la casemate proprement dite. Une première chambre de tir est équipée d'une mitrailleuse Hotchkiss accrochée sur une plaque de blindage spécifique au secteur. Ce montage n'est que supposition par rapport à d'autres constructions du secteur étant donné qu'il n'y avait rien autour du créneau. Une des hypothèses de l'association, serait un montage réalisé à partir de caisses.

A droite, un orifice a été percé dans le béton pour laisser passer une lunette d'observation (non installée).

La chambre de tir nord pour mitrailleuse. Notez à droite du créneau, l'orifice pour lunette d'observation (non installée).

La mitrailleuse Hotchkiss est une arme à feu automatique française conçue par la firme Hotchkiss en 1897 puis améliorée successivement jusqu’en 1914. Le rechargement de l’arme se fait par emprunt de gaz, en effet, le gaz généré lors du tir permet d’éjecter l’étui et de charger une nouvelle cartouche dans la chambre de tir. Elle utilise les mêmes munitions que le fusil Lebel modèle 1886 à une cadence de tir de 500 coups/minute sur une distance maximale de 4 500 mètres maximum tirant du 8 mm lebel par bandes rigides de 24 coups. Cette arme est très répandue dans l’armée française que ce soit dans l’infanterie et dans la forteresse.

La chambre de tir sud pour mitrailleuse

La deuxième chambre de tir pour mitrailleuse est quasiment identique à la première hormis du fait qu'on y trouve un créneau pour fusil-mitrailleur et une goulotte lance-grenades. 

Elle est à l'origine du réseau de distribution d'air pur en provenance du ventilateur mais également le lieu de passage des câbles téléphoniques de l'étage supérieur vers le au sous-sol. Il s'agit donc d'une pièce assez importante dans le fonctionnement général de la casemate.

La chambre de tir sud pour mitrailleuse.
Détails de la plaque d'embrasure et du support de la mitrailleuse.

L'installation se fait via trois pièces : 

  • La plaque d'embrasure boulonnée autour du créneau, épaisse de 3 cm.
  • Un support à pivot est boulonné sur les trois saignées dans la partie inférieure de la plaque d'embrasure.
  • Un support pivotant utilisé à l'origine pour l'affût-trépied type omnibus de la mitrailleuse Saint-Étienne également adapté pour la mitrailleuse Hotchkiss.
Vue sur l'arrière de la chambre de tir.
FM 24/29
Fusil-mitrailleur 24/29 sur une caisse de transport.
La cabine téléphonique

Contrairement à ce que l'on peut voir actuellement à la casemate, le central téléphonique n'est pas situé dans la cabine téléphonique mais au sous-sol comme cela est le cas dans la casemate de Bettlach sud. Le montage actuel est toutefois cohérent par rapport aux autres constructions sans sous-sol du secteur.

L'accès au puits de la cloche GFM et la cabine téléphonique.

On y trouve ainsi, un poste téléphonique étanche du réseau d'alerte ainsi qu'une prise d'abonnement pour poste de campagne TM32.

Le poste étanche TM32 du réseau d'alerte dont le fonctionnement doit être garanti de façon permanente se présente sous la forme d’un ensemble complet protégé par un boîtier étanche en fonte destiné à être fixé à demeure sur un mur. Trois entrées de câble marquées L, P et S en partie inférieure permettent le raccordement de la ligne téléphonique, des piles et de la sonnerie nécessaires à son fonctionnement. Les piles du type Leclanché sont installées par paires et placées à proximité du poste lui-même sur une tablette en bois. Ce sont des piles robustes et de forte capacité permettant à l'appareil de fonctionner à tout instant même après une longue période de non-utilisation.

TM32
La cabine téléphonique de l'étage supérieur. On peut y distinguer le poste téléphonique étanche, sa sonnerie et ses piles reliées par câble ainsi que le poste téléphonique de campagne.
La chambre de tir sud pour canon

La chambre de tir sud pour canon est dédiée au flanquement antichar de l'intervalle entre la casemate de l'Aschenbach et la casemate de Vernes.

Canon de 47 mm sur affût crinoline.
La chambre de tir pour canon, côté sud.

L'armement utilisé est le canon de 47 mm modèle 1885 installé sur un affût crinoline provenant des anciens stocks de la Marine. En effet, en 1933, le ministère de la Marine propose de céder à titre gratuit, à son homologue de la Guerre, son artillerie légère ainsi que ses munitions vouées à la ferraille car obsolètes.

Aucun blindage ne pouvait assurer l'étanchéité du créneau au contraire des casemates CORF, aucun matériel n'ayant été mis au point. Néanmoins, le créneau pouvait être fermé en temps de paix par un volet rabattable.

Casemate
Le créneau antichar faute de cuirassement reste béant. On peut néanmoins le fermer grâce à des volets rabattables.

L'armement de la chambre de tir est complété par un créneau pour fusil-mitrailleur et une goulotte lance-grenades pour la défense rapprochée.

On y trouve enfin un lit rabattable pour le repos d'une partie du personnel.

Lit rabattable.
Les servants dormaient à proximité de leurs pièces faute d'aménagement.
La cloche GFM

Les casemates du Secteur Fortifié d'Altkirch ont toute bénéficié de cloche GFM (guetteur-fusilier-mitrailleur) du nouveau modèle (type B) également utilisé dans le cadre des « Nouveaux fronts ».

Cloche GFM.
Puits de la cloche GFM.

L'équipement intérieur est constitué d'un plancher mobile pouvant être ajusté en hauteur selon la taille du guetteur ou ramené en position basse pour le cas où il serait nécessaire d'évacuer le guetteur inconscient.

Vue d'ensemble de l'intérieur de la cloche GFM de type B.
Vue extérieure de la cloche GFM de type B. Notez à gauche, le cache-flamme du fusil-mitrailleur qui dépasse le créneau.

La cloche GFM de la casemate de l'Aschenbach est percée par cinq créneaux à rotule pouvant servir à l'observation (utilisation de diascopes) ou bien pour la défense rapprochée (fusil-mitrailleur sur son support spécifique). Enfin, un orifice permet de faire passer un périscope de type F2 afin de balayer d'un coup d'œil les alentours.

Fusil-mitrailleur en place sur son support spécifique.

Les étuis usés du FM sont collectés par un tuyau traversant le plancher mobile au centre de la cloche et tombent à l'étage inférieur dans un réceptacle étanche muni d'un panier. Les gaz et fumées provenant du tir sont recueillies grâce à un ventilateur manuel extrayant l'air de ce réceptacle et le rejetant à l'extérieur.

Périscope type F2 à l'intérieur de la cloche.
Périscope
La partie émergente du périscope.
La chambre de tir nord pour canon

Cette chambre de tir dispose d'un armement analogue à la première décrite plus haut. Son canon a pour mission de flanquer l'intervalle jusqu'à la casemate du Haselberg.

Canon de 47 mm modèle 1885.
Chambre de tir pour canon côté nord. A gauche du canon, une goulotte lance-grenade ainsi qu'un créneau pour fusil-mitrailleur.

On y trouve deux lits rabattables pour le repos d'une partie du personnel.

Chambre de tir nord avec au premier plan, les lits rabattables.
Le sous-sol

La casemate de l'Aschenbach est l'une des rares du secteur à disposer d'un sous-sol. En complément du puits d'accès pour le personnel, deux orifices rectangulaires ont été percés lors de la construction dans le but d'y acheminer le matériel encombrant de la ventilation ainsi qu'un troisième de plus petite taille où passe la gaine de ventilation de prise d'air.

Sur cette image on distingue en arrière plan le boîtier de protection des lignes de campagnes ainsi que la gaine de ventilation. En bas à droite, le puits d'accès du personnel pour accéder au sous-sol.

Le ventilateur fonctionne à bras étant donné que la casemate ne dispose pas d'électricité. Le principe d'installation est toutefois très semblable à celle faite dans les casemates CORF. Le ventilateur à bras (modèle T) est associé à trois filtres pouvant être court-circuités par une vanne by-pass. Cette vanne permettait à l’air extérieur, lorsqu’il était sain, d’être aspiré par le ventilateur sans circuler pas les filtres.

Le ventilateur manuel type T et la vanne by-pass.

 

En période de combat, l'air aspiré passe par les filtres avant d'être distribué dans les chambres de tir. La surpression empêchant l'entrée des gaz de combat comme dans les constructions CORF n'est que théorique. En effet, la casemate n'est pas étanche étant donné que les créneaux ne disposent pas de blindages et restent ainsi béants.

Les trois filtres associés au ventilateur. A proximité du ventilateur se trouve le puits de la casemate. Nous ignorons à ce jour la manière de pompage de l'eau, l'installation étant restée inachevée.

Le sous-sol est aussi utilisé comme local du central téléphonique. En effet, c'est derrière le ventilateur qu'arrivent les câbles téléphoniques. Visiblement non installé en 1940 (présence de coffrage en bois), il est probable que l'équipement téléphonique soit constitué d'un central à 12 directions sous carter étanche (combinaison d'un central à 4 et 8 directions) et d'un répartiteur type 2 que l'on trouve abondamment dans le secteur.

Le central téléphonique de la casemate et son répartiteur associé.

De cet ensemble sont reliés : 

  • Les lignes de campagnes via un boîtier de raccordement situé à l'extérieur ;
  • Le poste étanche du réseau d'alerte ainsi que la prise d'abonnement dans la cabine téléphonique ;
  • Le reste du réseau téléphonique souterrain de la fortification reliant la casemate aux autres constructions du secteur.

Rapide chronologie de la casemate

Nous ne connaissons pas le personnel ayant occupé la casemate de 1939 à 1940 hormis du fait qu'ils appartenaient au 171e Régiment d'Infanterie de Forteresse et au 10e Régiment du Génie. L'offensive allemande n'ayant pas concernée la Haute-Alsace, les troupes du Secteur Fortifié d'Altkirch ont reçu l'ordre du commandement d'évacuer entre le 14 et le 17 juin.  Il est ordonné d’emmener tout ce qui peut être transporté et de détruire ce qui ne peut l’être.

Abandonnée puis ferraillée après la guerre, la casemate de l'Aschenbach sort du domaine militaire en 1980 puis est prise en charge par l'association d'histoire locale qui donne naissance au Mémorial Maginot De Haute-Alsace au début des années 1990. Son état était pitoyable, en effet il ne reste plus rien hormis des détritus en tout genre. La visite du site dans son état actuel se fera dans un autre article.

Bibliographie

MARY, Jean-Yves. HOHNADEL, Alain. Hommes et ouvrages de la ligne Maginot Tome 1, Paris, Histoire & collections, 2005.

MARY, Jean-Yves. HOHNADEL, Alain. Hommes et ouvrages de la ligne Maginot Tome 3, Paris, Histoire & collections, 2003.

LAMBERT, Pascal. TM 32 - Le téléphone dans la ligne Maginot, Thionville,1998.

TRUTTMANN, Philippe. La Muraille de France ou la ligne Maginot : la fortification française de 1940, sa place dans l'évolution des systèmes fortifiés d'Europe occidentale de 1880 à 1945, Thionville, Éditions G. Klopp, 2009.

WAHL, Jean-Bernard. 200 km de béton et d'acier. La ligne Maginot en Alsace, Thionville, Éditions G. Klopp, 2013.

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