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Fortifications et patrimoine

Le blog de l'Ami du Patrimoine

L'avant-Poste du Pont-Saint-Louis

Si la ligne Maginot alpine reste assez méconnue du public, un évènement de juin 1940 la met sous les projecteurs. On y parle à propos de neuf hommes stoppant 5000 italiens, il s'agit de l'Avant-Poste du Pont-Saint-Louis ! Hormis la mention de cet épisode de la bataille des Alpes, l'ouvrage ne reste que peu connu en dehors du monde très fermé de la fortification Maginot.

Cet article va ainsi présenter ce que fut cet Avant-Poste mythique à travers des images de synthèse réalisée à partir de la documentation actuellement disponible. Le site ayant changé depuis 1940 et définitivement fermé au public depuis des années, il se peut qu'il y ait quelques coquilles sur les différents visuels que vous aller découvrir plus bas. De fait, la fidélité de la restitution est estimée à environ 75%.

Mais avant, un peu de contexte.

L'avant-Poste du Pont-Saint-Louis est situé comme la plupart des Avant-Postes de la ligne Maginot, en bordure immédiate de la frontière. Derrière le pont éponyme situé en territoire italien en vertu d'une convention de délimitation entre la France et la Sardaigne, conclue à Turin le 7 mars 1861. Cette convetion s'inscrit dans la continuité du traité du 24 mars 1860 officialisant l'annexion à la France du duché de Savoie et du comté de Nice.

L'avènement de l'Italie fasciste et la volonté de Mussolini de récupérer Nice et la Savoie amène à l'État-major Français de protéger dès les années 1920 la frontière partagée avec l'Italie par une ligne de fortifications plus tard appelée ligne Maginot.

La route franchissant le pont permet d'accéder à la ville de Menton et donc à la route des Trois Corniches, qui relient Menton à Nice. Cette position clef est donc copieusement fortifiée au début des années 1930 en profondeur comprenant ainsi : 

  • Une première ligne composée d'Avant-Postes au plus près de la frontière, dont le but est de retarder et d'alerter les ouvrages des autres lignes défensives. 
  • Une deuxième ligne, dite ligne principale de résistance composée principalement d'ouvrages mixtes (artillerie et infanterie) comme l'ouvrage de Cap-Martin ou de Sainte-Agnès.
  • Une troisième ligne, beaucoup plus tardive et inachevée composée de casemates de type STG comme la casemate de Vesqui sud.

La construction d'un Avant-Poste devant le Pont-Saint-Louis est envisagée dès 1926 dans le cadre de la défense de Nice mais le projet est reporté. La question revient au premier plan en 1929, quand la Commission d'Organisation des Régions Fortifiées (C.O.R.F.) s'occupe du dossier de la défense de la frontière alpine et définit donc un programme général de destructions et barrages de route pour les Alpes-Maritimes.

La localisation alors de ce barrage de route n'est pas là où on le connait actuellement, mais plus en arrière au niveau de la douane moderne. Toutefois, le maréchal Pétain suggère de rapprocher l'ouvrage au plus proche de la frontière, chose qui sera faite.

Le chantier s'étale entre 1932 et 1934, année où l'armement définitif est installé.

Concrètement, l'Avant-Poste du Pont-Saint-Louis est constitué de deux éléments distincts et complémentaires :

  • Une barrière anti-char pouvant bloquer la route au niveau de la frontière.
  • Une casemate d'action frontale avec des locaux souterrains.

Dès avril 1934, l'avant-poste est occupé par des troupes alpines. Elles logent dans un abri en tôle situé entre la casemate et le logement de la barrière. Une petite baraque en bois faisant office de cuisine complète ce petit casernement du temps de paix.

Enfin, on peut citer la présence du bâtiment des douanes ainsi qu'un poste de police, présents avant la construction de l'Avant-Poste.

 

Après ce rapide survol des installations de l'Avant-Poste, penchons nous sur les détails.

La barrière anti-char et ses annexes

La barrière de route est le dispositif le plus classique du barrage anti-char. Au Pont-Saint-Louis, cette barrière est coulissante sur un rail. Elle est manœuvrée via un mécanisme de manivelles et pignons permettant par l'intermédiaire d'une chaîne sans fin, de lancer la barrière en dehors de son logement et inversement. Malheureusement, le mécanisme n'a pas pu être reconstitué dans le cadre de cette restitution faute de documents précis.

La barrière en position depuis la frontière italienne.

La barrière mobile haute d'environ 1,6 mètres et longue de 8,5 mètres, se déplace grâce à cinq roues suivant un rail jusqu'au massif bétonné situé à l'autre extrémité de la route. Cependant, cela ne suffit pas pour résister à la poussée d'un engin blindé, ainsi deux poutres métalliques arc-boutées dans la route  sont ajoutées.

Piquets anti-chars Ollivier derrière la barrière coulissante. Notez les deux poutres métalliques arc-boutées dans la route permettant de renforcer la barrière.

Derrière la barrière se trouve une double rangée de six piquets anti-chars Ollivier. Du nom de son inventeur, le piquet Ollivier est une mine improvisée créée en combinant une charge explosive avec un allumeur déclenché par la pression ou la torsion générée par un engin en déplacement. La fusée était vissée dans l'ogive d’un obus périmé et l'autre extrémité de l'allumeur était équipée d'un piquet creux métallique.

 

Le casernement du temps de paix

Les troupes qui occupent l'Avant-Poste avant la déclaration de guerre logent dans un abri en tôle situé entre la casemate et le logement de la barrière.

Vue d'ensemble de la zone du casernement du temps de paix.

Les abris en tôle ondulée cintrée également nommés abri en « tôle métro » sont hérités des aménagements de la Grande Guerre. Le principe est repris pour les troupes d'intervalle de la forteresse afin de disposer d'abris et de postes de commandement.

Au Pont-Saint-Louis, cet abri en tôle ondulée sert de casernement au personnel de l'Avant-Poste dont les locaux sont trop exigus.

La façade de l'abri (état supposé).
A l'intérieur de l'abri.

Une petite baraque en bois faisant office de cuisine complète ce petit casernement du temps de paix. L'approvisionnement en eau serait possible via un petit château d'eau situé sur la dalle de la casemate.

La baraque en bois faisant office de cuisine.
La casemate et ses locaux

L'élément actif de l'Avant-Poste du Pont-Saint-Louis est sa casemate. On y accède via une tranchée menant à une porte blindée à double vantaux. Cette entrée présente la particularité de faire face à la frontière, à contre courant de ce qui se fait au sein de la fortification Maginot.

Vue d'ensemble de l'ouvrage. Notez la présence de l'antenne radio à gauche du créneau anti-char.
Vue rapprochée de l'entrée de l'ouvrage, face à la frontière italienne.

Une étroite galerie coudée dessert les deux pièces de l'ouvrage. La première est multi-fonctionnelle, en effet, on y trouve le ventilateur à pédalier (type B) associé à son filtre, mais aussi un poste téléphonique de campagne relié au réseau téléphonique souterrain de la fortification.

Vue sur le ventilateur de l'Avant-Poste. N'étant pas relié au réseau électrique, la mise en marche du ventilateur se fait via des manivelles ou bien des pédales.
La première pièce faisait office de poste de commandement et de lieu de stockage (munitions, vivres).

A cela s'ajoute le coffret de mise à feu du dispositif de mines permanent (DMP) pour faire sauter la route à l'angle du boulevard de Garavan et de la corniche situé à l'arrière de l'ouvrage !

Râtelier d'armes et coffret de mise à feu du dispositif de mines permanent (DMP).
Vue d'ensemble du local de ventilation et du couloir.
Une niche située au milieu de la galerie permet de stocker du matériel supplémentaire.

L'armement de la casemate du Pont-Saint-Louis est constitué :

  • D'un créneau pour jumelage de mitrailleuses interchangeable avec un canon antichar de 37 mm sur birail ;
  • D'un créneau pour fusil mitrailleur 24-29 plus un autre pour la défense de l'entrée ;
  • D'une goulotte lance-grenades (une deuxième était prévue mais non installée) ;

Il s'agit donc d'un armement assez conséquent compte tenu de l'exiguïté de la chambre de tir.

Vue d'ensemble de la chambre de tir.
Vue en grand angle de l'armement de la casemate.

Le canon anti-char de 37 mm modèle 1934 est utilisé en remplacement de son homologue de 47 mm lorsque l'exiguïté de la chambre de tir ne permettait pas l'utilisation de cette dernière version plus performante. La pièce était suspendue à un chariot qui coulissait dans une poutre bi-rail installée au plafond de la chambre de tir. Le service de l'arme était assuré par un chargeur et un tireur.

Le canon de 37 en position dans son créneau. Cette disposition ne devait pas être fréquente étant donnée que l'Avant-Poste ne fut pas attaqué par des engins blindés.

Le canon était interchangeable avec un jumelage de mitrailleuses Reibel MAC 31 qui s'effaçait pour permettre le verrouillage du canon.

Le jumelage de mitrailleuse consiste en l'assemblage de deux mitrailleuses sur le même affût. Cette disposition permettait d'assurer un tir continu en limitant l'échauffement du canon, les deux mitrailleuses n'étant pas en principe utilisées simultanément.

Le dernier créneau est équipé d'un fusil-mitrailleur 24/29, du type D dédié à la fortification Maginot. L'arme fonctionne par emprunt de gaz et est dotée d'une double détente permettant le tir au coup par coup ou en rafale.
 

Le créneau FM. Notez au fond, le casier à munitions de 37 mm ainsi que le poste O.T.C.F.

Comme nous l'avons vu plus haut, l'Avant-Poste du Pont-Saint-Louis était relié au réseau téléphonique de la fortification. Ce poste téléphonique était complété par un poste radio O.T.C.F. (Ondes Très Courtes de Forteresse), type 1939. Son rôle était d'entrer en communication avec les ouvrages voisins, notamment celui du Cap-Martin.

Le poste est relié à une antenne située sur la façade de la casemate par un câble traversant le conduit la deuxième goulotte lance-grenade non installée.

Poste O.T.C.F. type 1939.
Brève chronologie de l'Avant-Poste durant le temps de guerre

En raison de sa position stratégique, l'Avant-Poste dispose de son équipage de 9 hommes dès la mobilisation de septembre 1939. Jusqu'en juin 1940, la vie continue presque normalement.

Dans l'après-midi du 10 juin, l'Italie déclare la guerre à la France. Le dispositif de mine est enclenché, laissant place à un grand entonnoir sur la route. L'équipage est ainsi coupé de ses lignes arrières.

Les premières attaques italiennes se déroule à partir du 20 juin 1940 sans succès grâce à l'appui de l'artillerie de l'ouvrage du Cap-Martin. Le 22 juin, l'armée italienne lance une offensive générale sur l'ensemble du front alpin. Toutefois, les troupes italiennes sont repoussées à la fois par l'armement de l'Avant-Poste ainsi que par l'artillerie du Cap-Martin et du Mont-Agel. 

Malheureusement, au moment où les Italiens entrent dans la ville de Menton, le poste radio tombe en panne perdant ainsi définitivement le contact avec les ouvrages du secteur. Le Pont-Saint-Louis est dorénavant encerclé... Le soir du 24 juin, un silence total intrigue l'équipage de l'Avant-Poste. Ces derniers ne savent pas encore qu'un armistice a été signé et que celui-ci entre en vigueur à ce moment.

Au matin du 25 juin, la guerre continue pour l'équipage de l'Avant-Poste qui n'a pas été prévenu de la cessation des combats. Cela n'est chose faite que plus tard dans la journée. L'équipage encerclé depuis le 20 juin est relevé par d'autres troupes françaises jusqu'au 28 juin. Les Français quittent les lieux et ferment à clef la casemate, puis se rendent dans les lignes amies avec armes et munitions sous escorte italienne. 

La casemate du Pont-Saint-Louis de nos jours (février 2022).
Bibliographie

CIMA, Bernard. CIMA. Raymond. TRUTTMANN, Michel. Juin 1940 : La glorieuse défense du Pont Saint-Louis, éd. Cima, 1995.

CIMA, Bernard. CIMA. Raymond. TRUTTMANN, Michel. Ouvrage du Cap Martin - O.T.C.F. type 1939, éd. Cima, 1996.

MARY, Jean-Yves. HOHNADEL, Alain. Hommes et ouvrages de la ligne Maginot Tome 4, Paris, Histoire & collections, 2009.

MARY, Jean-Yves. HOHNADEL, Alain. Hommes et ouvrages de la ligne Maginot Tome 5,  Paris, Histoire & collections, 2009.

TRUTTMANN, Philippe. La Muraille de France ou la ligne Maginot : la fortification française de 1940, sa place dans l'évolution des systèmes fortifiés d'Europe occidentale de 1880 à 1945, Thionville, Éditions G. Klopp, 2009.

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